Les magasins jouent les galeries d'Art

Enquête

Les magasins jouent les galeries d'art

LE MONDE | 04.09.07 | 15h59 • Mis à jour le 04.09.07 | 15h59
Les Galeries Lafayette consacrent dans ses magasins un espace dédié à l'art contemporain - ici, Pierre Soulages qui exposera à Clermond-Ferrand à partir du 12 septembre 2007. | D.R. Les Galeries Lafayette consacrent dans ses magasins un espace dédié à l'art contemporain - ici, Pierre Soulages qui exposera à Clermond-Ferrand à partir du 12 septembre 2007.

D.R.

La dernière façon "branchée" de se cultiver n'est plus d'aller au musée, mais de faire les boutiques. Après Louis Vuitton sur les Champs-Elysées, doté d'un espace d'art au septième étage, c'est au tour des Galeries Lafayette de mêler nourritures pour le corps et l'esprit.

A partir du 12 septembre et jusqu'au 6 octobre, des oeuvres prêtées par les Fonds régionaux d'art contemporain (FRAC) seront présentées dans sept magasins de l'Hexagone, ainsi qu'aux Galeries Lafayette de Berlin, en Allemagne. L'opération, baptisée "La France, c'est renversant", va permettre d'admirer, entre autres, un tableau du peintre Pierre Soulages à Clermont-Ferrand, un travail du photographe américain Robert Mapplethorpe à Bordeaux, une vidéo d'Ange Leccia à Strasbourg, une création de l'Autrichien Erwin Wurm à Marseille, une sculpture du Chinois Wang Du à Limoges…

"Notre travail est de flairer l'air du temps et les Français semblent relever la tête après des années de morosité, analyse Paul Delaoutre, directeur général des Galeries Lafayette. On voit grandir chez eux ce besoin de se différencier et de s'entourer d'objets d'art, ce qu'illustre le succès grandissant de la Foire internationale d'art contemporain (FIAC)." M. Delaoutre a réservé aux vitrines de son magasin parisien, boulevard Haussmann, ce qui se fait de plus chic. Des créations du jeune designer Ora Ito, à l'e-Solex revu par Pininfarina, en passant par la robe éclairée par des leds (diodes électroluminescentes) du couturier Hussein Chalayan… l'ensemble est mis en scène par l'Américain Hilton McConnico, lui-même peintre, décorateur, photographe, cinéaste.

"Grâce à nous, l'art moderne, relativement snob et cantonné à des clubs privés, descend dans la rue, dans les magasins, et l'on vit avec", se targue M. Delaoutre. Il imagine, si les clients sont satisfaits, de transformer l'événement en un rendez-vous annuel. Cela devrait séduire les FRAC qui, chargés de constituer une collection d'art dans chaque région, ne disposent pas tous d'espace d'exposition.

Les commerçants ont intérêt à "démocratiser la culture", selon leurs termes. Cela donne une image flatteuse de leur entreprise. Et ils y gagnent un flux accru de curieux, donc la possibilité qu'un chaland venu admirer une oeuvre d'art cède à un achat coup de coeur.

En arguant du "caractère culturel" de son magasin des Champs-Elysées, la griffe de luxe Louis Vuitton a même réussi à obtenir, le 1er juillet, l'autorisation d'une ouverture dominicale. Or, chaque jour, seulement une centaine de personnes visitent l'espace d'art de la boutique tandis qu'elles sont 3 000 à sillonner le magasin.

"L'expérience du luxe ne se limite pas à l'acquisition d'un objet : c'est aussi pénétrer dans un univers de rêve", explique Yves Carcelle, président de Louis Vuitton (groupe LVMH). Cela commence, selon lui, par une architecture de qualité, de l'immeuble de Nagoya au Japon, dès 1998, à celui des Champs-Elysées. "A Paris, nos clients peuvent admirer la sculpture lumineuse de James Turell ou faire l'expérience d'un voyage dans l'ascenseur totalement noir - où les sens sont comme en apesanteur - d'Olafur Eliasson, précise M. Carcelle. Qu'ils achètent ou non, les visiteurs en ressortent enrichis." Surtout, ils n'oublieront pas de sitôt la marque.

Tandis que les commerçants se piquent d'art, ce dernier devient marchand. Les boutiques des Musées nationaux vendent, outre des ouvrages sérieux, des colifichets et des fichus inspirés par le détail d'un tableau, ou encore des compilations musicales en lien avec une exposition. Des objets uniques, introuvables ailleurs, comme le sont aussi ceux proposés par le 107Rivoli (c'est le nom de la boutique), à Paris, avec ses articles design inspirés des trésors du Musée des arts décoratifs, copropriétaire du lieu avec les Galeries Lafayette.

Comptant parmi les précurseurs, la Fnac - "agitateur culturel depuis 1954", dit le slogan - s'est engagée très tôt du côté des artistes vivants, en abritant dans ses magasins des expositions de photographie. Il y a deux décennies, l'enseigne défrayait la chronique parce qu'elle laissait les gens lire les bandes dessinées dans l'enceinte du magasin, assis à même le sol. Depuis, cette bibliothèque-librairie est devenue une institution. Partout, l'art se désacralise, des cafés-galeries d'art aux boutiques de mode, façon Colette.
Véronique Lorelle
Article paru dans l'édition du 05.09.07.

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3238,36-951105,0.html

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